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C’est l’histoire de ceux qui mettent des claques…

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Tout commence à Potosi un matin ensoleillé comme il y en a l’hiver en Bolivie. Potosi fut une ville extraordinaire. Créée par les Espagnols à la fin du 16ème siècle, ses richesses minières exceptionnelles en ont très rapidement fait une des villes les plus riches et peuplées du monde. Devant Paris, devant Londres, ses orgies, ses églises, ses palais, ses places publiques surpassaient nos vieilles dames. Tout n’était qu’abondance et luxure. Mais derrière la scène et son strass, il y a toujours la peine de ceux qui trépassent. On parle ici de 8 millions d’Indiens, d’indigènes, d’esclaves qui périrent au fond des mines du Cerro Rico (plus grande mine d’argent du monde). Des millions d’hommes et d’enfants qui donnèrent leur vie pour de l’argent. Des hommes et des enfants qui donnent encore leur vie pour de l’argent.

C’est leur histoire. Celle de ceux qui mettent des claques. Des claques dans les murs, des claques dans les gueules, des claques.

Tout commence à 8h30 quand la petite expédition de 10 touristes sur  le chemin des mines, avance lentement mais sûrement vers un monde de claques.

Claque numéro  1.

Entre le centre de la ville, moins jolie que prévu, et l’entrée de la mine, aussi effrayante que prévue, il y a l’étape : « Achetez des cadeaux aux mineurs s’il vous plaît. C’est un signe de respect et de gratitude. ». Avec grand plaisir on achète donc des cadeaux : bâton de dynamite, détonateur, sac de feuilles de coca, 20cl d’alcool à 96° (comprenez « concentration maximale d’alcool possible ; éthanol), un paquet de cigarettes 100% tabac (du foin dans du papier à imprimer ; forme d’un cigare), du jus de fruit concentré et de l’eau, quand même…

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Claque numéro 2.

Le guide nous fait goûter ces produits. La boisson alcoolisée est bel et bien plus forte que du Whitespirit. La dynamite ce n’était pas une blague. La feuille de coca ça anesthésie les sensations buccales. Notre guide mange des feuilles de coca frénétiquement comme une chèvre dévorerait un Chêne après deux jours de disette. Ses yeux sont rouges.

Claque numéro 3.

L’entrée de la mine. Un trou. Des tâches de sang autour. « C’est du sang de lama. Les mineurs font des sacrifices régulièrement pour implorer le Tio (dieu de la mine) d’épargner leurs vies et de leur porter chance. » On ne pensait pas que les portes de l’enfer ressemblait à ça.

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Claque numéro 4.

Oh non, il fait vraiment nuit noire. On baisse la tête. On avance. « T’imagines si ça s’écroule ? ». – Ta gueule. « Orlando (le guide), Orlando, quand est-ce qu’on arrive ? ». – Après. Merde il y a une échelle. Puis, un trou. Puis une échelle dans un trou. C’est quoi ce délire. Panique.

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Claque numéro 5.

Après s’être accroupis, avoir descendu des échelles glissantes, s’être faufilés dans des failles, avoir eu peur, s’être rassurés comme on peut (« Le risque existe. La peur c’est un choix de l’esprit. Tout ce qui ne tue pas rend plus fort. Des centaines de touristes le font chaque année… »_Voir la parenthèse Mickaël), nous arrivons dans une grotte (la fin d’une galerie donc lieu plus large, air plus respirable, possibilité de contempler le visage poussiéreux et marqué d’autrui). 3 mineurs nous attendent. Ils nous racontent leur vie. Non, on leur demande de nous la raconter. Ils ont 18, 43 et 45 ans. Ils doivent travailler l’équivalent de 8h par jour six jours sur sept. Alors parfois, pour prendre des jours de congé, ils font 24h d’affilée. Leur secret pour tenir ? Mâcher de la feuille de coca à chaque instant. Ils en mangent deux sachets pleins par jour. Triple effet vertueux : ça leur donne des forces, leur enlève littéralement la faim et la boule de feuilles agit comme un filtre entre leurs bronches et l’air poussiéreux.

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La parenthèse Mickaël.

Lundi 10 juin, 8h du matin. Nous sommes déjà en tenue de mineur et attendons patiemment de monter dans le car qui nous emmènera vers l’enfer, vers l’angoisse, vers la mine…Mais avant ça nous devons passer par l’étape du marché afin d’acheter les fameux cadeaux que nous offrirons ensuite aux mineurs.

Là, devant une tienda, apparaît Mickaël, un franco-espagnol de 25 ans. Avec son jean taille basse,  son gros pull bolivien en V qu’il portait sans T-shirt  et son bonnet bolivien, il écoute de manière ultra concentrée notre guide Orlando et imite frénétiquement chacun de ses gestes : comme Orlando, il fume la cigarette sans filtre d’une traite, comme Orlando il enchaîne les shots d’alcool à 96° et comme Orlando il chique des boules entières de Coca de telle sorte que  sa joue formait une boule et que ses dents devenaient vertes.

Après cet arrêt express, nous prîmes le bus direction la Mine. Une fois montés, ce n’est pas notre guide Orlando mais Mickaël lui-même qui se plaça au milieu du bus, leva les bras et lança « Espera, espera por favor, todo el mundo es acá en el bus ? Ya, ok vamos conductor » (Attendez, attendez, tout le monde est là dans le bus? C’est bon, ok, on peut y aller chauffeur).

Il vint alors s’asseoir juste devant nous, se retourna, s’accouda à son siège et nous lança sans gêne : « Alors vous aussi vous êtes français les gars ? Stylééééé, ouai moi j’suis franco-espagnol tu vois.  J’ai fait une business school moi aussi ouai, à Paris. J’ai bossé dans la mode mon pote. Tu vois là ton pull, ben moi je l’achetais en Chine pour pouvoir te le vendre ensuite. Ouai je m’en suis fait du fric mec, en même temps tya vu autant que ça serve à quelque chose de bosser autant quoi ! Putain je bossais comme un malade mon pote, truc de taré,  j’ai fini par dire un gros FUCK à mon boss t’as vu, j’en pouvais plus meccc, de la pression, du boulot ! Je me suis rendu compte que l’argent c’était pas le but dans la vie mon pote. Du coup j’ai tout balancé et là ça fait 7 mois que je voyage mon pote. Le kiff quoi, j’ai fait l’Asie ouai, putin en Inde c’est des animaux mec, franchement tu crèverais par terre ils te marcheraient dessus, faut faire gaffe ! Mais mec j’y ai fumé de ces trucs, des baobabs de skunks mec ! Truc de fou mec, tu vois « la Marijuana es mi mujer » (la Marie Jeanne est ma femme). Sinon j’ai dormi au bord du fleuve Mékong pour 1$ mec ! Moi tu vois j’suis pas en mode comme les gros touristes ricains qui vont se la couler douce sur les îles de Thaïlande ! D’ailleurs j’ai décidé de me reconvertir ta vu, après mon voyage en Amérique Latine je retourne vivre en Inde, je veux faire du bien aux autres tu vois. Je vais aller suivre des formations de yoga et de massage pour pouvoir faire du bien aux autres. Ouai j’avoue c’est bien différent de ce que je faisais avant, mais j’en avais marre mec. Ouai, non, j‘suis pas bouddhiste tu vois mais franchement ya du bon la dedans, ya des trucs à méditer mec !

Après ce long casi-monologue, nous arrivâmes à l’entrée de la mine. Après avoir pris notre courage à deux mains nous entrâmes dans celle-ci, et après quelques minutes, effrayés, Mickaël nous rassura : « Les mecs, le risque existe. La peur c’est un choix de l’esprit. Ya pas à stresser. Ouai c’est sûr d’être mineur, on peut considérer ça comme de l’esclavage mais mec nous-même sommes les esclaves de la vie. On a remplacé l’outil par le travail ».

Claque numéro 6.

Don Gonzalo. 51 ans. 9 enfants. Il travaille seul. Il a l’air épuisé mais a un joli sourire et pas un seul cheveu blanc. Ça fait 39 ans qu’il travaille dans la poussière, sous les parois tâchées d’arsenic, dans l’humidité chaude, la transpiration, les explosions, les drames… Don Gonzalo a de grandes mains musclées. Sa claque fait particulièrement mal.

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Claque numéro 7.

Ce n’est pas fini. On descend encore. On est 50 mètres sous la galerie principale. Les espaces se réduisent. Nous sommes à quatre pattes.

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Claque numéro 8.

Rencontre avec le « Tio ». Le Tio c’est le dieu de la mine, celui qui fait et défait les destins de ceux qui travaillent ici. On lui doit le respect. On lui offre donc des gouttes d’alcool, des cigarettes, des feuilles de coca en l’implorant de préserver nos vies. L’histoire veut que les Espagnols ont installé des statuts de ce « Dio » (dieu en espagnol mais le quechua n’inclue pas la lettre d…) pour obliger les Indiens à se remettre au travail. Parce que ces derniers ont fini par se rebeller contre les pratiques ignobles des  Espagnols. Illustration parfaite de l’exploitation abusive des colons : la Mita. La Mita c’est simple, c’est dur, ça remet pas mal de choses en cause sur la condition humaine. Les Indiens devaient travailler six mois au fond des mines sept jours sur sept sans voir le jour au rythme infernal de 20 heures par jour. 8 millions de morts.

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Claque numéro 9.

Aimery a failli se faire écraser par le petit train de Indiana Jones et le temple maudit que Majencio et Lol’Lo poussent comme des sauvages sur des rails habiles mais dangereux.

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Claque numéro 10.

C’est la fin. Demi-tour. Il faut tout refaire.

En sortant de la mine le soleil resplendissait. Nous nous observions, fiers de notre prouesse, fiers de nos photos : on avait joué aux mineurs.

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Le soir, l’auberge de jeunesse nous proposa une séance film. Le film est un documentaire réalisé en 2005 par  Kief Davidson et Richard Ladkani. El minero del diablo (The Devil’s Miner) est un reportage qui nous propose de suivre deux enfants de 14 et 12 ans. Ils sont pauvres, habitent à l’entrée de la mine, travaillent dans la mine comme des hommes. La mine, la vraie, celle que nous avions « visité » le matin même… La meilleure claque fut donc celle de la fin, la dernière. Celle que nous avons prise confortablement assis dans nos canapés. Celle de l’enfant qui tape contre la roche pour nourrir sa maman et sa sœur, pour aller à l’école. Celle que l’on n’avait pas vu venir. Celle dont on se souviendra longtemps.

Louis

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Pour voir en streaming le film-documentaire « El Minero del Diablo » (The Devil’s Miner) réalisé par  Kief Davidson et Richard Ladkanien 2005 (vidéo en espagnol): http://www.youtube.com/watch?v=OkzFHaggNBo

Pour voir en streaming un autre documentaire, « La Mine du Diable » réalisé par France 5 en 2011 (vidéo en français) : http://www.dailymotion.com/video/xkpa1f_docu-france5-la-mine-du-diable-lun-18-avr-2011_travel

Article de Rue 89 sur ce même documentaire: http://blogs.rue89.com/alma-latina/2011/04/09/la-mine-du-diable-germinal-au-xxie-siecle-en-bolivie-199230