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La Parenthèse Christian

Entretien avec un titi

Je suis né en 1990. L’époque des Ventura, Gabin, Lautner, Meurisse, Verneuil, Melville était passée. La grande bande à Audiard n’était plus. Fini les mots mâchés, l’argot ouvrier à Saint-Germain, les coups de gueule enivrés dans les cafés de Montparnasse. Fini les casquettes, les trois-quart beiges, les gitanes au bec jour et nuit. Fini les titis. 

Les dialogues du Pacha, la folie des Tontons flingueurs, les facéties des Barbouzes. Souvenirs d’une époque révolue. Témoignages d’un Paris enchanteur. Vestiges d’un art de vivre, de cuisiner, de parler, de dire, de chanter, de râler, de charmer, de cracher, de casser des gueules. A la parisienne, à la française.  

Tout semblait donc perdu depuis longtemps. Je m’étais résigné à me contenter d’a-partés titis un dimanche soir par an, devant TF1, devant la 263 ème rediffusion des Tontons flingueurs, sur mon canapé, en famille ou entre amis. Les lendemains ressemblaient toujours aux mêmes réinterprétations plus ou moins réussies et chacun y allait de son mot. « Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît ». – Oh exceptionnel. Quel génie ce Audiard. Puis venait le moment de gloire du type qui avait appris par cœur la réplique de Bernard Blier : « Non mais t’as déjà vu ça ? En pleine paix ? Il chante et puis crac, un bourre-pif ! Il est complètement fou ce mec. Mais moi, les dingues, je les soigne. Je vais lui faire une ordonnance et une sévère… Je vais lui montrer qui c’est Raoul. Aux quatre coins de Paris qu’on va le retrouver, éparpillé par petits bouts, façon Puzzle. Moi, quand on m’en fait trop je correctionne plus : je dynamite, je disperse, je ventile ! ». Je n’ai jamais réussi à la retenir celle-ci. J’étais jaloux. Je me taisais. En fait, j’imaginais juste une beuverie avec la bande. Je me renseignais sur les bistrots et les quartiers où se tenir pour chasser les ombres de mes idoles. Rien n’y faisait. Le titi, le vrai, le grand, celui de Paris, avait fui ce siècle.

Fui ce siècle ? Bien sûr. Paris trop chère, Paris trop stressée, Paris trop bonne. Paris a chassé son titi. Loin, trop loin pour que je puisse le trouver ailleurs qu’à l’autre bout du monde, à l’autre bout d’un petit pays, dans une petite échoppe.

A Sucre (c’est en Bolivie. Prononcez  « Saoul Cré) c’était jour de défilé des universités ce jour-là. Il était 17h30 environ et nous avions vu 25000 corps dénudés par des déguisements traditionnels arpenter les rues de leurs pas endiablés.

Les rues de Sucre, ville coloniale, avant les défilés des étudiants

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Le défilé des étudiants : un moyen pour les universités de faire de la pub afin d’attirer de nouveaux étudiants pour la rentrée prochaine DSCN2891

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Les spectacles municipaux c’est sympa mais souvent trop répétitif. Alors pour passer le temps les gens sirotent quelques boissons alcoolisées. Et souvent, ça dégénère. Alors les mairies interdisent la consommation d’alcool. « Mais Señor c’est mon anniversaire. Enfin c’était hier et j’étais dans le bus donc on comptait sur ce soir pour lever nos verres à mes 23 ans ». Une serveuse compréhensive (comprenez. Cupide) nous propose un jus avec une double dose d’alcool pour me rendre heureux (comprenez. Pour arrondir sa fin de semaine). Chic femme. Mais les deux verrines de Cointreau dissoute dans le litron de jus sucré ne feront pas l’affaire. C’est mon anniversaire. Merde.

Il fallait trouver un plan B. Et il y a toujours un plan B quand on parle liqueur. Les choses sont faciles quand elles touchent aux vices. C’est pour ça qu’on les nomme « vices » d’ailleurs. La vie facile est vile.

« Le Petit Parisien » l’a bien compris. A ses dépens ? Les quatre heures de discussion qui suivront ne nous l’apprendront pas. Le mystère sait y faire. Il touche les Grands, les enveloppe d’un voile blanc, les rend distant, perturbant. Bref, Le Petit Parisien est le bistrot-tienda-restau (bordel français en d’autres mots) que Christian (le petit parisien) a monté avec sa femme il y a dix ans.

Nul doute que son bistrot n’a pas changé d’une ride depuis. La même femme maquillée comme une danseuse du cirque Pinder. « J’lai rencontré dans la rue. Jeune fille au pair elle était (…) Elle était déjà pas comme les autres. Parce que t’as vu qu’ici ils sont lents ? Ah oui non je ne pourrai pas me considérer Bolivien tant qu’ils auront le même cerveau. » Le même accueil à la clientèle. « Du Coca Zero ? Ba non j’en ai pas (…) Du Coca Zero, il est con lui encore ». Parce que Christian parle en Français à ses clients. Et il ne leur parle pas toujours avec beaucoup d’amour.  « Mais ils ne comprennent rien ? » – Ba non. Qu’est-ce que ça peut me faire moi. Et puis il y a toujours Camille qui peut traduire. Elle parle deux langues parfaitement. J’ai envie qu’elle fasse la meilleure scolarité possible. Et la meilleure ici c’est pas Henry IV non plus mon ptit gars.

Camille c’est peut-être la seule qui change dans ce décor d’un autre temps, dans ce Paris des années 1960-1970, dans ce Paris de 25 mètres carrés où trois tables du modèle « table de camping sur les airs d’autoroute » et un comptoir en bois meublent la plus grande partie du lieu. Car Camille c’est « la Grande », « la fille prodige ». Elle a 10 ans mais elle grandit vite. « Elle veut retourner en France avec sa mère ». « Mais qu’elles y aillent en France, vivre avec des têtes de cons qui servent de têtes à l’Etat, profiter du charme d’un 30 mètres carrés à Courbevoie, boire des Coca à 6 euros ». Car « Paris 6-7-8 oui, le reste moyen, le 19-20 non mais alors la périphérie attention ! »

Depuis 1736, la famille de Christian peuple le sympathique 6ème arrondissement alors lui aussi a pris la mauvaise habitude ne voir Paris que sous l’angle du merveilleux. Et des paillettes… Celles qui tombent des costumes des personnalités qui sortent des plateaux télés.

– Bohringer c’est un mec bien. 

– T’as connu Bohringer ?

– Ba oui. Lui c’était un bon copain. Avec lui et Lindon (Vincent de son prénom) on en a vidé des bouteilles. T’as vu Truffaut ? Les 400 coups ? Ba pareil. Des centaines et des centaines, en francs, de rouge. Et puis quand il y en avait un sans sou, ce n’était pas grave, on s’arrangeait…

– T’as connu tout le 6ème pendant tes 35 premières années de vie ?

– 52 mon ptit gars, 52. Putain ça passe vite… Mais oui il y avait aussi Wermus (Paul). Alors lui je lui ai proposé de m’inviter sur ces plateaux. Je les aurais allumé. Tous, tous ces cons qui se prennent pour des rois parce qu’ils passent leur temps à se lécher le derrière (cherchez un synonyme). Un Rockeur. Lui était bien. Il aime le rouge mais il est sympa. Comme Girardeau. Des personnes simples. Tu leur sers la main dans ton bistrot. Il te salue. Pas de grimace. Lhermitte aussi c’est un chic type. Bon père. Bon acteur. J’laime bien lui. Pas comme l’autre con de Christian Clavier qui s’emmourache de Sarko…

– T’aimes pas Sarko ?

– Non.

– Tu préfères Hollande ?

– Je déteste les saloperies. Peste ou collera je ne choisis pas, je soigne.

– Ah ?

– Ba oui merde, ces enfoirés qui nous donnent des leçons et nous piquent notre pognon. Je vais même te dire. Moi c’est Mélenchon.

– Mais c’est un con aussi…

– Oui, mais il est sympa.

– Ah ?

– Oui il est sympa.

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(…) Nous entamons une autre bouteille d’un délicieux (le seul peut-être) vin bolivien. Christian se sert des verres de vin mais au verre à vodka. Technique ancestrale pour limiter sa consommation ? « J’en sais rien. C’est comme ça ». (…) 

– Christian, je peux me permettre.

– Oui, mais fais gaffe.

– T’as une grosse gueule d’acteur…

– Oui je sais. On m’a dit. Mais mon théâtre c’est ma vie. Mon théâtre c’est ça. (il pointe son bar. Il tape sur le bois.) Tous les jours je fais mon cinéma et ça m’arrange parce que je maîtrise l’utilisation de ma tête. Quand je veux la partager avec des gens sympas comme vous, je me fais plaisir. Quand je n’ai pas envie, je n’ai pas envie. Je n’ai jamais été à vendre alors t’imagines bien que ma gueule je la garde pour moi…

– T’es l’homme à la tête de chou quoi ?

– Ouais. Tu aimes ?

– Ouais. Tu connais Gainsbourg j’imagine.

– Ba oui mais pas beaucoup. C’était un bourgeois. Il était pas facile. Il vivait dans le 14 lui. Oui sympa comme quartier. Une fois, saouls, au comptoir, on a parlé téléchargement.

– Alors ?

– Il est pas con mais quel orgueil ! Il aimait le fric Gainsbourg et ça le ruinait un peu. Dommage. Mais quel génie quand même ! On danse ?

– Allez.

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Ses idoles chargées sur YouTube nous ont régalé. Certaines dansaient sur les tables et se cassaient la gueule, d’autres jouaient à cache-cache avec Camille dans la petite boutique parfumée au tabac, d’autres rêvaient de la soirée qui ne faisait que commencer. Il était 23 heures quand nous sortîmes. L’air était frais. On s’est alors dirigé vers une boîte de nuit.

Nous avions bu, ri, voyagé, parlé, mangé, débattu, joué du pipeau avec nos mains pendant 5 heures sans changer de place.

– Et ?

– Oui ?

– Tu connais Julien Doré ?

– Oui. J’aime bien, pourquoi ?

– Il était là il y a trois jours avec sa fine équipe.

– Excellent ! Sympa ?

– Ouais génial mais je crois que vous les avez battus…

Julien Doré, la Nouvelle Star, Lolita, Louise Bourgoin… Non il faut arrêter de rêver. Il faut essayer de garder le rêve pour la nuit. Ça la fait passer plus vite. Et ça épargne nos journées de toute forme de regrets ou de spleen. Spleen. Baudelaire. Paris. Non, vraiment, il faut quitter ce rêve !

La soirée ne faisait que commencer.

Louis

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